vendredi 17 juillet 2009

AU PAYS DES HOMMES FLEURS

Si un jour vous avez la chance d’aller surfer dans les îles Mentawai où chacun sait que ce petit paradis pour surfer recèle parmi les plus belles vagues du monde, faîtes un détour pour aller voir les hommes fleur. Il vous faudra bien sûr descendre de votre bateau, ou vous éloigner de votre surf camp, remonter la côte impénétrable et verte, puis vous engouffrer en pirogue dans les dédales sinueux des mangroves qui entourent les îles, afin de vous enfoncer dans la jungle. Car c’est au cœur de la forêt tropicale humide que vit le peuple mentawai, un des plus anciens de l’humanité, encore peu affecté par la civilisation galopante. Pour les hommes fleurs, appelés ainsi car ils aiment se parer des fleurs de la forêt, la vie est rythmée par la nature, et surtout par la rivière qui peut passer d’un sage petit cours d’eau à un fleuve impétueux à la saison des pluies… Les hommes fleurs sont animistes, ils croient que chaque chose, être, plante, objet, a une âme qui est capable de partir de son enveloppe matérielle. Les tatouages, effectués dès l’adolescence, ont pour rôle de parfaire leur corps incomplet afin de retenir l’âme dans son enveloppe charnelle, de même que la taille des dents en pointe.

Les hommes fleurs ne vivent pas regroupés dans des villages, mais restent en petites structures familiales au sein de l’Uma, la maison traditionnelle sur pilotis, ouverte sur la jungle, à laquelle on accède par un petit sentier fait de rondins de bois tant le sol boueux des bords de rivière est impraticable. Autour de la maison, vous verrez les cochons patauger et se disputer des morceaux de palmier sagoutier, un arbre qu’il a fallu faire tremper dans la rivière plusieurs jours avant qu’il soit consommable. Nous le goûterons d’ailleurs, cuit dans des feuilles de bananier, car le sagou, la farine que l’on tire du sagoutier, constitue la base de l’alimentation des hommes fleurs. C’est assez insipide et la consistance ressemble à celle du manioc, mais il ne faut pas faire les difficiles, car ici il n’y a pas de riz alors qu’on est au cœur de l’Indonésie ! La culture du tarot, la cueillette des bananes, la pêche et l’élevage des poules et des cochons apportent un supplément à cette alimentation frugale.

Vous serez accueillis, comme nous, dans la pièce principale de l’Uma, où la vie de la communauté se discute et se décide, où l’on cuisine, où l’on tue le cochon et le poulet quand c’est jour de cérémonie. Le soir, on y fume et on palabre. Autour de l’Uma, la jungle s’étend à perte de vue, il faut s’y perdre un peu pour prendre la mesure de sa densité et de sa luxuriance. Tandis que les hommes fleurs se déplacent avec agilité, nous glissons dans les pentes boueuses et évoluons avec maladresse dans un enchevêtrement de racines et de lianes. Le ciel est à peine visible derrière l’épaisse canopée et les esprits de la forêt nous surveillent. Aman, notre hôte, a pris son arc et ses flèches enduites de poison, mais il rentrera bredouille.

Les hommes fleurs sont un peuple accueillant, souriant, qui aime rire et plaisanter, mais il ne faut pas oublier que leurs conditions de vie sont très précaires, entre une forêt convoitée pour ses richesses et son bois, un gouvernement indonésien qui les a longtemps contraint à se « civiliser » par la force, les maladies importées et une nature capricieuse. Si un jour vous avez la chance d’aller sur ces îles du large de Sumatra, faîtes escale pour aller voir les hommes fleurs, sans voyeurisme, avec respect et déférence ; c’est une belle leçon d’écologie humaine.

De retour sur le bateau, Teiki nous attend déja dans l'eau ...