Les hommes fleurs ne vivent pas regroupés dans des villages, mais restent en petites structures familiales au sein de l’Uma, la maison traditionnelle sur pilotis, ouverte sur la jungle, à laquelle on accède par un petit sentier fait de rondins de bois tant le sol boueux des bords de rivière est impraticable. Autour de la maison, vous verrez les cochons patauger et se disputer des morceaux de palmier sagoutier, un arbre qu’il a fallu faire tremper dans la rivière plusieurs jours avant qu’il soit consommable. Nous le goûterons d’ailleurs, cuit dans des feuilles de bananier, car le sagou, la farine que l’on tire du sagoutier, constitue la base de l’alimentation des hommes fleurs. C’est assez insipide et la consistance ressemble à celle du manioc, mais il ne faut pas faire les difficiles, car ici il n’y a pas de riz alors qu’on est au cœur de l’Indonésie ! La culture du tarot, la cueillette des bananes, la pêche et l’élevage des poules et des cochons apportent un supplément à cette alimentation frugale.
Vous serez accueillis, comme nous, dans la pièce principale de l’Uma, où la vie de la communauté se discute et se décide, où l’on cuisine, où l’on tue le cochon et le poulet quand c’est jour de cérémonie. Le soir, on y fume et on palabre. Autour de l’Uma, la jungle s’étend à perte de vue, il faut s’y perdre un peu pour prendre la mesure de sa densité et de sa luxuriance. Tandis que les hommes fleurs se déplacent avec agilité, nous glissons dans les pentes boueuses et évoluons avec maladresse dans un enchevêtrement de racines et de lianes. Le ciel est à peine visible derrière l’épaisse canopée et les esprits de la forêt nous surveillent. Aman, notre hôte, a pris son arc et ses flèches enduites de poison, mais il rentrera bredouille.
Les hommes fleurs sont un peuple accueillant, souriant, qui aime rire et plaisanter, mais il ne faut pas oublier que leurs conditions de vie sont très précaires, entre une forêt convoitée pour ses richesses et son bois, un gouvernement indonésien qui les a longtemps contraint à se « civiliser » par la force, les maladies importées et une nature capricieuse. Si un jour vous avez la chance d’aller sur ces îles du large de Sumatra, faîtes escale pour aller voir les hommes fleurs, sans voyeurisme, avec respect et déférence ; c’est une belle leçon d’écologie humaine.
De retour sur le bateau, Teiki nous attend déja dans l'eau ...